Entretien XXL avec Yadegar Asisi



Clap de fin pour le Panorama de Rouen

Publié le 14/09/21


Depuis son installation en 2014 dans le prolongement de l'avenue Pasteur, le Panorama de Rouen cristallise les polémiques. Son architecture, son emplacement comme sa gestion sont décriés par une partie de la population comme de la classe politique locale, devenant même un sujet de campagne durant les dernières municipales de 2020. Mais depuis l'arrivée du socialiste Nicolas Mayer-Rossignol à la mairie puis à la métropole de Rouen, le choix du transfert de la structure sur la rive gauche s'est discrètement transformé en démantèlement total, alors même que l'établissement culturel affichait une fréquentation de plus de 130 000 visiteurs par an, faisant du Panorama l'un des sites culturels les plus visités de Seine-maritime. Alors que l'on s'apprête la semaine prochaine à détruire la rotonde, j'ai demandé ce qu'en pensait le principal intéressé, à savoir Yadegar Asisi, l'artiste à l'origine du Panorama de Rouen. Il faut dire que la presse ne lui a jamais tendu le micro alors que l'auteur des toiles "Rouen 1431" et "La Cathédrale de Monet", a bien des choses à dire. Pas rancunier mais fataliste, l'artiste a répondu à mes questions en toute franchise à propos de son expérience Rouennaise.

 

Yadegar Asisi / © Atelier Asisi
Yadegar Asisi / © Atelier Asisi

(N.B) Revenons tout d'abord en arrière, comment Rouen a-t-elle été choisie pour accueillir votre panorama ? 

 

(Y.A) La ville de Rouen m'a approché car elle avait l'idée de développer un musée avec des images surdimensionnées. Ils sont tombés sur mon travail. Différents représentants de la ville ont alors visité des panoramas en Allemagne et m'ont, à leur tour, invité à Rouen. Inspiré par la ville et son incroyable histoire, j'ai développé l'idée de créer un panorama de l'époque de Jeanne d'Arc. Cette idée a été accueillie avec enthousiasme et la volonté a été formulée de montrer ce panorama de « ROUEN 1431 », en plus d'autres de mes œuvres sur cinq années consécutives. Grâce au grand soutien de la compagnie d'assurance MATMUT, et aux nombreuses discussions avec les différentes parties prenantes, la décision a été prise de lancer le projet.

 

- De nombreuses critiques ont été formulées concernant l'emplacement du panorama. Celui-ci ferait obstacle à la perspective formée par l'avenue Pasteur, dans le prolongement de la Préfecture. Que pensez-vous de cet emplacement ? Pensez-vous que l'architecture du panorama a été un problème dans sa réputation ?

 

J'ai parlé avec de nombreux citoyens, mais aussi avec les responsables, de ce sujet. En outre, de très nombreuses autorités ont également été impliquées dans le développement. Je n'ai jamais compris pourquoi ce sujet était si central aux yeux de certains et pourquoi discuter de l'idée de ce type de musée, puisque toutes les personnes concernées savaient qu'il s'agissait d'un bâtiment provisoire qui serait là pendant cinq ans. Je n'ai entendu que des réactions positives aux panoramas au fil des ans. Je pense que les bâtiments historiques situés aux abords peuvent résister à un projet artistique temporaire.

 

 

- Dans un premier temps, la métropole de Rouen a annoncé qu'elle voulait déplacer puis supprimer complètement le panorama de Rouen. Comment la ville vous l'a-t-elle annoncé et quel a été votre sentiment face à cette annonce ?

 

Ce qui m'étonne, c'est que la couleur de la rotonde a toujours été critiquée, mais que le contenu n'a pas été discuté publiquement. Le plan était de présenter le projet à cet endroit, puis, dans le cadre de l'aménagement de la rive gauche, de développer un grand musée, qui restituerait un panorama historique conservé au Louvre depuis 100 ans ; exposer mes œuvres dans la deuxième rotonde et d'exposer les œuvres numériques d'autres artistes nationaux et étrangers dans une troisième rotonde. Malheureusement, la dernière fois que j'ai rencontré des représentants de Rouen, je n'ai plus entendu parler de cette idée. Ils m'ont dit que 50% des citoyens de Rouen ne voulaient pas de ce projet. Ils ont fait référence à une enquête qui a été faite il y a environ 4 ans. Je n'ai jamais vu cette enquête et lorsque j'ai demandé qui était interrogé et quelles questions étaient posées, je n'ai obtenu aucune réponse concrète. J'ai juste su qu'il s'agissait d'un questionnaire sur la qualité de vie à Rouen et qu'une seule concernait le Panorama.

 

- Depuis plusieurs années, les partis conservateurs dénoncent le gouffre financier que représenterait la gestion du panorama. Selon vous, la gestion du panorama de Rouen a-t-elle posé des problèmes ? Rencontrez-vous les mêmes difficultés dans les panoramas à Dresde ou à Berlin ?

 

C'est une question difficile, car je ne sais pas comment l’établissement a été gérée commercialement. Je sais seulement qu'avec l'engagement financier de la MATMUT, l'investissement initial a été très favorable. Avec 700 000 visiteurs en sept ans, le Panorama est l'un des trois sites culturels les plus performantes de la région. Jusqu'à 24 emplois* ont été créés en sept ans. J'en ai été très heureux, mais aussi surpris, car nous nous en sortons avec beaucoup moins d'employés dans les panorama Allemands. Enfin, je ne comprends pas vraiment la manière différente de voir les choses, car il s'agissait d'une activité métropolitaine et les autres musées fonctionnent avec une entrée gratuite. Le Panorama, malgré le prix d'entrée, a eu un nombre très élevé de visiteurs. Il est également dommage que mon offre de coopération avec le festival Normandie Impressionniste n'ait pas été acceptée par les responsables. Je pense qu'avec l'affluence au Musée des Beaux-Arts, le Panorama et les opérateurs auraient également pu en profiter.

 

- Selon vous, qu'est ce qu'un panorama propose de plus qu'une huile sur toile ou un musée ?

 

Mon expérience avec les visiteurs est toujours la même, quel que soit le pays d'où ils viennent. Ils décrivent une expérience émotionnelle profondément émouvante et sont stupéfaits de son intensité. Ils la décrivent souvent comme une décélération en ces temps où tout va très vite. Une autre réaction est l'enthousiasme que suscite le contenu perspicace de ces différents thèmes. Je crois fermement qu'il s'agit de la redécouverte d'une forme d'art qui ne peut que se développer dans une variété de thèmes sans précédent grâce aux possibilités artistiques et techniques d'aujourd'hui.

 

- Quel est l'intérêt pour une ville comme Rouen de posséder un panorama ?

 

À part Rouen, il n'y a qu'une seule ville au monde qui possède deux panoramas sur sa propre histoire, ces œuvres peuvent presque être déclarées comme faisant partie de l'ADN de ces villes. L'une concerne Dresde, avec un panorama de l'époque baroque et sur le thème de sa destruction en 1945. Ces deux projets sont en cours depuis 15 ans et viennent d'être prolongés de cinq ans. La deuxième ville est Rouen, avec son panorama de la période gothique et la cathédrale de Monet. Tout ce que je peux dire à ce sujet, c'est que je suis très reconnaissant d'avoir créé ces toiles avec mon équipe. Je pense que ces deux images sont aussi une contribution réussie et formatrice d'identité pour Rouen. Je pense que si Rouen devait recevoir le titre de Capitale européenne de la culture, ces deux panoramas seraient une digne contribution.

 

- Votre travail témoigne d'une réelle sympathie pour la ville de Rouen. Quel est votre monument préféré dans la ville, après la cathédrale que vous avez largement observé, étudié et représenté ?

 

Je suis très enthousiaste à l'égard de la ville, mais outre tous les bâtiments fantastiques qui ont été préservés, je pense toujours à l’Aître Saint-Maclou !

 

- Savez-vous ce que va devenir le Panorama de Rouen ? Sera-t-il déplacé dans une autre ville française ? Si tel est le cas, allez-vous également vous impliquer artistiquement dans cette ville et proposer des panoramas historiques dédiés à la nouvelle ville ?

 

Je pense que personne ne peut imaginer à quel point la mise en œuvre d'un tel projet est un parcours intensif et difficile. Comme nous l'avons également vu à Rouen. Mais je peux vous promettre à ce stade, que je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour montrer ces deux panoramas dans d'autres endroits du monde. Maintenant qu'ils ne seront bientôt plus exposés à Rouen, ils ne doivent pas disparaître dans l'oubli pendant 100 ans comme les panoramas du Louvre. Ils devraient encore être vus par de nombreuses personnes et être un bon ambassadeur de cette ville fascinante qu'est Rouen. 

Des historiens locaux vous ont accusé de certaines inexactitudes dans le traitement de votre panorama "ROUEN 1431", qu'avez-vous à dire à ce sujet ?

 

J'ai maintenant beaucoup d'expérience avec une grande variété de scientifiques issus d'un large éventail de disciplines. Mon approche consiste toujours à traiter le travail des scientifiques, sans lesquels je ne pourrais créer ces images, avec le plus grand respect. En revanche, pour les époques de l'Histoire de l'Humanité, où il n'existe pas ou très peu d'images, le problème est que de grandes lacunes existent. Dans mes panoramas de villes, j'essaie toujours de créer une image proche de l'époque sur la base des connaissances scientifiques existantes.

 

Jusqu'à la fin du projet il y a des demandes de modifications, auxquelles je me conforme dans la mesure du possible. Mais à un moment donné, il faut arriver à une conclusion. Nous avons maintenant exposé le panorama de Pergame à Berlin pour la deuxième fois. Pour cela, je l'ai complètement revisité. De nouveaux aspects ont été ajoutés, qui ne sont apparus que grâce à l'existence de la première version.

 

On peut dire que ces tableaux ne sont jamais terminés, car de nouvelles découvertes scientifiques s'y ajoutent sans cesse. Je pense que « ROUEN 1431 » est une première approche très valable du sujet. Autant que je me souvienne, les inexactitudes relevées n'avaient aucune influence sur l'ensemble de l'œuvre. Peut-être y aura-t-il une autre occasion de réviser le panorama.

 

- Quelle est votre opinion sur les controverses que le panorama de Rouen a suscitées ?

 

Quand on parle de controverse, je dois dire que personne ne m'en a parlé ouvertement. J'étais très enthousiaste au début, et j'ai eu des discussions avec les directeurs de différents espaces d'exposition. J'avais l'espoir qu'il pourrait y avoir une sorte de synergie, une collaboration, car il y avait certaines intersections. Deux grands magazines d'art (Connaissance des arts et Beaux Arts) ont consacré des numéros spéciaux au projet « ROUEN 1431 » et à « La Cathédrale de Monet », ce qui m'a fait très plaisir. S'il y a eu controverse, c'était probablement à des niveaux qui n'ont pas été portés à mon attention. Maintenant, après la courte durée du projet de la Cathédrale, j'avais suggéré de l'étendre un peu plus pour que plus de gens puissent la voir, ou de lancer un autre concours parmi les artistes locaux pour donner un autre visage à l'extérieur de la rotonde. Mais il me semble qu'il n'y avait pas d'alternative à la démolition.

 

 

- Qu'avez vous à dire aux politiques locaux et en particulier au Président de la Métropole de Rouen, Nicolas M. Rossignol, qui a récemment annoncé qu'il voulait supprimer le Panorama ?

 

Contrairement à ses prédécesseurs, il n'y a pas eu de conversation entre Mr. Rossignol et moi-même. Lors de l'inauguration de « La Cathédrale de Monet », il y a eu des discussions individuelles avec certains des pionniers du projet, mais Mr. Rossignol n'a jamais cherché à s'entretenir avec moi. Je ne connais donc pas son opinion sur mon travail et je ne peux rien dire sur d'éventuelles motivations. Le projet, prévu pour 5 ans, a été prolongé de deux ans et doit maintenant être démantelé. On dit souvent que les bâtiments provisoires finissent inévitablement par durer plus longtemps que prévu. Le projet du Panorama n'aura pas cette chance.

 

- Que retiendrez vous de cette expérience Rouennaise ?

 

Je tiens à remercier les citoyens de Rouen. C'était une époque fascinante. J'ai pu rencontrer des gens formidables. Deux nouvelles œuvres sont venues s'ajouter à mon travail, qui me rappelleront toujours cette ville et ses habitants. Et vous pouvez être sûrs que ces panoramas ne seront pas vus par les gens pour la dernière fois. Et chaque fois que je les montrerai, Rouen sera le centre de l'attention. Je vous salue tous et je tiens à remercier tous ceux qui ont rendu ce projet possible et l'ont fait rayonner pendant sept ans.

 

* D'après nos informations, quatre guides conférenciers et médiateurs ne seraient pas réemployés par la Métropole, suite à la fermeture du Panorama.

 

Entretien réalisé par Nicolas Blanchard, Doctorant en géographie à l'Université de Rouen-Normandie et guide conférencier indépendant.

↓  Communiqué de Presse de Yadegar Asisi à télécharger  

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Commentaires: 1
  • #1

    marie cécile brossard (mardi, 14 septembre 2021 10:35)

    Cet article est très intéressant . Ne connaissant ni Rouen, ni l'artiste, ni ce Panorama j'ai hâte d'aller les découvrir avant qu'il ne soit trop tard !
    Jusqu'à présent le contournement autoroutier de Rouen est une telle galère qu'il ne donne qu'une envie : s'éloigner de la ville au plus vite !