Publié le 22.01.2021
Enquête sur l'augmentation des tiques, l'exemple de la Forêt d'Ecouves (Orne, Normandie)
Avec ses 17% de forêt, l’Orne représente l'un des départements les plus boisé de la Normandie réunifiée et par conséquent un foyer considérable pour la tique européenne (Ixodes ricinnus) susceptible notamment de transmettre la maladie de Lyme. La proximité des zones forestières et la superficie des massifs rendent la forêt omniprésente dans le paysage Ornais. De sorte que, les activités de plein-air font de la forêt un espace récréatif de choix : jogging, équitation, vélo, chasse, promenades en famille. Avec une fréquentation estimée en 2006 à environ 70 000 visiteurs, la forêt d'Ecouves est LE site le plus fréquenté de l'Orne, bien que l'estimation semble bien inférieure à la réalité d'après Pascal PAPILLON [Papillon 2014, p.114]. Malheureusement, I.ricinus étant une espèce essentiellement sylvicole, c’est le plus souvent en forêt que les Hommes se retrouvent au contact de l'acarien. Contractée par une piqûre de tique infectée, la maladie reste difficilement décelable au regard des multiples symptômes qu’elle peut engendrer d’un patient à un autre. Il reste pour le moins étonnant que "la controverse Lyme" qui confronte depuis plusieurs années malades et professionnels de santé, écarte le plus souvent du débat la source même du problème : la tique ou, plus globalement : l’écologie de la tique. Car si seulement 5 à 10% des tiques sont porteuses de la boréliose de Lyme, quelles peuvent-être les causes de leur prolifération ?
On connaît d’I.ricinus sa capacité à s’adapter à des températures aussi bien négatives que positives. L’espèce est présente dans la taïga sibérienne où des températures moyennes quotidiennes de -10° C sont relevées pendant 70 à 80 jours. Mais d'après les chercheurs Perez et Rodhain (1977) « au delà de 32°C la température attaque la perméabilité de son épiderme, provoquant une perte considérable en eau, incompatible avec sa survie. »
En effet, si les records de chaleurs impactent négativement la population de tique sur le court terme, la stabilité thermique inter-saisonnière de plus en plus prononcée semble avoir une influence considérablement favorable pour les populations d'I.ricinus. Bien que l’on puisse déterminer les périodes principales d’activités de la tique - au printemps et au début de l’été- ces périodes tendent à se prolonger notamment à l’automne et à la fin de l’hiver. Un été pluvieux sans grosse chaleur combiné à un hiver doux réunissent les conditions d’hygrométries et de températures idéales d’I.ricinus. Reste que le climat du massif d'Ecouves est caractéristique d’un climat de type océanique frais avec des amplitudes de températures modérées (de 5 à 25°C) et que l’humidité est omniprésente (moyenne annuelle des précipitations : 984mm/an). À l'échelle Normande, la biologiste B. Degeilh a mis en évidence dès 1992 une très forte abondance de I. ricinus : « Tous les groupements forestiers Bas-Normands sont colonisés par la tique. »
Associée aux biotopes lui garantissant une humidité relativement proche de la saturation, c’est en forêt qu’I.ricinus se rencontre le plus fréquemment. Cependant la banalité de cette espèce « ne doit pas faire conclure hâtivement à leur omniprésence » sur l’ensemble d’un massif forestier.
L’habitat de la tique se situe au niveau du sol forestier. L’espèce apprécie en particulier les zones à mono-espèces végétales, c’est à dire un habitat homogène et régulier, ce que lui offre volontiers la fougère aigle, la molinie ou bien encore la houlque. Trois essences colonisatrices et concurrentielles que l’on trouve en abondance sur le massif d'Ecouves, notamment dans le cas de la fougère aigle (Pteridium aquilinum). D’après Perez et Rodhain (1977) sans que l’on puisse cartographier précisément « les zones à tiques » dans chaque massif « les zones à fougères offrent l’abri préférentiel » d’I. ricinus.
Les exigences très strictes d’I.ricinus vis-à-vis de l’hygrométrie sont telles que ses possibilités d’existence sont liées à des formations végétales capables d’offrir une humidité relative très élevée. Le taux d’humidité du sol est plus élevé sous les fougères car la litière limite son évaporation. De même, les chercheurs ont montrés que les températures enregistrées dans la litière où la fougère aigle est dominante, sont supérieures à celles composées par d’autres espèces végétales. De fait, la fougère aigle constitue un environnement apprécié par les larves d’I.ricinus. Par ailleurs, le cycle de la fougère accompagne parfaitement chaque phase de l’évolution de la tique (larve, nymphe, adulte). Les larves se développent dans les feuilles mortes des fougères, qui leur fournissent chaleur et humidité, au state de nymphe, elle commence à grimper sur la tige des fougères pour se laisser tomber au passage d'un animal ou d'un Homme. Il est évident que la colonisation des espaces forestiers par I.ricinus est favorisée par les grandes étendues que lui offre la fougère aigle. Mais comment la fougère à pu gagner autant de terrain ?
La fougère aigle peut supporter un certain niveau d'ombrage mais son développement maximal est obtenu en condition de faible couvert forestier. Or, si les conditions d’éclaircissement sont trop favorables (tempête, coupe d’éclaircissement, coupe rase) , la fougère en tant qu’espèce colonisatrice et concurrentielle a la faculté d’envahir un site dit « perturbé ». La fougère peut profiter d’une perturbation du sol -dont l'exemple extrême est une coupe rase- afin de coloniser une nouvelle station sur un sol dénudé.
Les chercheurs Timbal et Caze (2005), ont mis en évidence que les faciès à fougères ne constituent pas un type de landes à proprement parler mais sont le résultat de fortes dégradations due à une perturbation anthropique. Cette dernière, qui peut se caractériser par une coupe rase ou d’éclaircissement, « supprime une grande partie des ligneux du sous bois facilite le développement opportuniste de la fougère. » Dans le cas d'une coupe rase, la composition chimique du sol évolue par un contact frontal des rayons du soleil et des intempéries. Ces phénomènes sont appelés lessivage et podzolisation. Les sols lessivés ou podzolisés ont en commun une large augmentation du ph du sol, pouvant atteindre un taux supérieur à 7, que vont très vite coloniser trois espèces acidiphiles : la fougère aigle, la houlque et la molinie, qu'affectionnent particulièrement I.ricinus. La coupe rase, acidifiant les sols, semble être devenue dans les massifs forestiers un auxiliaire des populations d'I.ricinus, car ce sont principalement ces essences qui se développent après l'ouverture du milieu, aussi bien dans le cas d'une régénération naturelle que d'une plantation artificielle.
Seulement trois ans après la coupe rase, la parcelle n°377 est envahit par la mollinie, devenant ainsi un espace à conquérir pour I.ricinus.
Pour certain, la maladie de Lyme incrimine d'avantage les grands mammifères qu'I.ricinus. L'argument étant de dire : "plus il y a de gibier, plus il y a de tiques." Car une fois mordue par une tique infectée, le cerf, le chevreuil ou le sanglier transmettra la boréliose de Lyme à des individus d'I.ricinus non infecté par la bactérie. Mais les ongulés ne sont pas les seuls à peupler nos sous bois et c'est sous estimer le rôle de la petite faune (mulots, campagnols, écureuils, hérissons, y compris les oiseaux nichant au sol sans oublier les reptiles, lézards et autres serpents) qui sont souvent les premiers hôtes des tiques aux stades immatures de larves et de nymphes. Au regard des milliers d’œufs que va pondre la tique, les larves puis les nymphes vont en premier lieu se mettre en quête d'un hôte de proximité et prendre leur premier "repas de sang" sur les espèces vivant principalement au sol. Ces animaux, devenus hôtes réguliers, puisqu'en contact premier avec des tiques à des stades immatures, sont susceptible de propager à plus grande échelle la boréliose de lyme. D'après l'ethnobotaniste Wolf-Diter Storll, c'est "seulement par l'intermédiaire de ces petits animaux, avant tout les rongeurs, qui s'assimilent à des réservoirs de borrélies (bactérie de la boréliose de Lyme), que les tiques s'infestent de borrélies." Ces animaux ne sont pourtant pas soumis à un plan de chasse à la différence des grands mammifères à qui l'on fait porter le chapeau. Cet argument de "surpopulation de la faune sauvage" vient s'ajouter à tant d'autres, visant à réduire drastiquement les populations de grands mammifères dans les massifs forestiers. D'ailleurs depuis quelques années en Ecouves comme dans de nombreux massifs domaniaux (Perseigne, Sillé le Guillaume plus localement), les attributions de grands mammifères s'est vu relativement augmenté au cours des trois dernières saisons de chasses. Pourtant, l'éminent professeur Andrew Spielmann de l'université d'Harvard ironise en affirmant que "même si on tirait tous les chevreuils, cela ferait à peine la différence, parce que les réservoirs à long terme des Borrélies sont les rongeurs" qui offrent une très grande source alimentaire aux larves et nymphes des tiques.
Cette idée selon laquelle "plus il y a de gibier, plus il y a de tiques" est véhiculée dans les publications grands publics, notamment au travers des schémas utilisés pour illustrer le cycle de mutation des tiques. Pour représenter ses hôtes, le chevreuil est souvent utilisé alors que les micro-mammifères qui, je le rappelle sont les premiers hôtes à tiques et donc à la fois porteur et vecteur de la boréliose de Lyme, ne sont que très rarement représentés.
En somme, les pratiques cynégétiques n'ont aucune influence positive sur les densités de populations de tiques, même si l'argument est souvent utilisé pour justifier cette activité comme relevant de l'utilité publique par ses pratiquant (1,6% de la population Française). L'impact de la chasse aurait même tendance à faire à augmenter le nombre de tiques infectées par la boréliose.
Faut il alors instaurer un plan de chasse pour les rongeurs ou mandater des dératiseurs dans nos forêts pour réguler tout ce petit monde ? Pas sûr que les chasseurs acceptent de remplacer les trophées de cerfs pour celui du muscardin. Il existe pourtant un individu capable d'influencer négativement les populations de rongeurs forestiers. Il s'agit bien sûr du Renard (voir mon article sur mon site Vulpes vulpes). C'est en tout cas ce que dit une étude publiée en 2017 par la très prestigieuse Royal Society de Londres, d'après laquelle la prédation du renard sur la macro-faune est tout à fait bénéfique pour contrer la densité de nymphes à tiques vectrices d'infections. En effet, en réduisant considérablement le nombre de rongeurs porteur de la borréliose, le renard contribue à la diminution du risque de transmission de la bactérie à l'Homme.
Malheureusement pour lui et pour tous les usagers des bois, le renard pâtit de son statut administratif de "nuisible", qui autorise les chasseurs à pratiquer sa chasse sur l'ensemble de l'année. Pourtant, à raison de 900 grammes de viande par jour, chaque renard assure à lui seul la destruction de 6.000 à 10.000 petits rongeurs par an. L'étude de la Royal Society, s'appuie sur des observations de plusieurs parcelles forestières aux Pays-Bas parmi lesquelles la présence de prédateurs (renard et martres) est effective et d'autres où ces derniers se trouvent absent.
Si les publications scientifiques abondent ces dernières années sur la question, certaines pratiques sylvicoles persistent et contribuent à accentuer les déséquilibres notamment dans le domaine de la "gestion" de la faune sauvage. Quelles sont alors les solutions à la disposition des gestionnaires ?
Premièrement, de façon à désavantager les zones favorables à I.ricinus (les stations de Fougère aigle, Molinie, Houlque), il semble primordial de favoriser dans les massifs périurbains, les peuplements mixtes et les régimes de futaie irrégulière. D'après, Gamblin et Al (1986) il est souhaitable de favoriser sous un même couvert forestier, la présence de plusieurs sous étages, afin de réduire considérablement l'aire de répartition d'I.ricinus dans les massifs.
Autre piste, celle des prédateurs actuellement classés "nuisibles" et donc chassés toute l'année. Ces animaux, tel que le Renard, la Martre et bien d'autres mériteraient beaucoup plus de considération de la part des sociétés cynégétiques, car les proies de ces prédateurs sont celles qui servent en premier de repas de sang aux tiques. Le fait de réduire drastiquement les populations de Renards roux, qui se nourrissent avant tout de petits rongeurs est un facteur supplémentaire" à une augmentation des populations de tiques. Ne plus les chasser en zone forestières périurbaines permettrait de réduire drastiquement les populations des premiers hôtes d'I.ricinus.
Les éléments qui sont à notre disposition et les études en cours sur l'écologie de la tique sont formels : le réchauffement climatique n'est pas le seul facteur de l'augmentation des populations de tiques. Si dans une certaine mesure l'acarien profite du réchauffement climatique, le déséquilibre écologique créé par les coupes à blancs semble largement favoriser la population de tique sur un massif M. Ajouté à cela, une extermination en bonne et due forme du Renard roux et d'autres prédateurs comme la martre ou la fouine et vous obtiendrez une forte densité de tiques sur le massif forestier.
La gestion durable des forêts implique d’assurer conjointement des fonctions sociales économique et écologique. Or au vu de l’exemple d’I.ricinus cet équilibre est largement biaisé : il y a véritablement un problème de santé publique au cœur des forêts, influencé par un déséquilibre faunistique et floristique aggravé par certains modes d'exploitations du bois et d'une mauvaise gestion de la faune sauvage.
Au regard de la littérature scientifique, il semble primordial de favoriser les peuplements mixtes et les régimes de futaie irrégulière en régénération naturelle dans les massifs forestiers français. Il faut également à tout prix favoriser sous un même couvert forestier la présence de sous-étages de façon à réduire considérablement l'aire de répartition d'I.ricinus. Il est encore plus essentiel de reconsidérer l’usage de la coupe rase qui, outre la détérioration et l’artificialisation des sols permet notamment à la fougère aigle de se développer dans un espace de plusieurs hectares, que viendra dans un futur proche coloniser I.ricinus.
Nicolas Blanchard
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©Nicolas Blanchard
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Bertrand PASQUET (mardi, 16 février 2021 10:45)
Un article de fond très intéressant pour comprendre les raisons de la prolifération quantitative et géographique des tiques. Merci. Bertrand PASQUET, président de l'association ChroniLyme.
Sophie Dubé (dimanche, 21 février 2021 20:04)
Merci Nicolas !
Je suis tout à fait d'accord sur l'importance du renard pour réguler les populations de rongeurs et j'avoue que je n'avais pas réfléchi à l'impact sur les populations de tiques et par conséquent les contaminations par Lyme!
Peut-être devrions-nous faire une campagne d'information dans ce sens?
ASB (vendredi, 26 février 2021 08:44)
Merci pour cet article très intéressant
J'ai longtemps vécu aux abords d'une forêt. Nous attrapions des tiques régulièrement quand nous nous baladions dans les fourrés. Cependant, et je n'ai pas d'explication à cela, depuis 15 /20 ans, les tiques ont envahi les pelouses, endroits où on les voyait absolument jamais. Elles pullulent dans certains parcs, et vivent dans l'herbe rase.
Fabrice (jeudi, 09 septembre 2021 10:23)
Beau travail, et thèse intéressante.
Une petite question:
Quelle est la raison pour laquelle le Renard est encore considéré comme un nuisible ? Le fait qu'il soit vecteur de la rage ?