Publié le 14.06.2021
Il y a quelques semaines, la municipalité de Saint-Denis-sur-Sarthon rendait public dans l’Orne Hebdo et Ouest France un projet de plantation de 45 000 arbres sur une parcelle communale de 1,5 hectare. L'objectif : réaliser « un puits de carbone et un refuge pour la biodiversité ». L’opération, confiée à la société Trees Everywhere s’inspire d’une méthode initiée par le botaniste japonais Akira Miyawaki. Cette méthode, qui semble faire des émules dans de nombreuses villes Françaises (Paris, Lyon, Strasbourg, Mulhouse...), n’est pas sans poser de questions quant à la méthode, jusqu’à la maîtrise d’ouvrage en passant par le coût de l’opération. Car si à première vue l'intention est louable et suscite l’engouement de nombreux citoyens, localement, le projet a étonné de nombreux professionnels de la forêt : « 45 000 arbres ? Sur moins de 2 hectares ? La bonne blague, quand on sait que les plantations artificielles en forêt dépassent rarement les 2 000 pieds à l'hectare ».
Mise au point dans les années 70, la méthode Miyawaki consiste en un processus de végétalisation express, en effectuant une plantation extrêmement dense d’arbres et d’arbustes. Cette densité hors norme (3 plants au m²) va alors favoriser la compétition entre les plants et permet d’obtenir, au bout de trois ans, selon différents promoteurs (Trees Everywhere, Urban forest ou encore Boomforest), un « écosystème forestier autonome ». Une fois en place cet espace doit être préservé de toute intervention humaine. Aucune coupe ne doit y être effectuée.
Pourtant, de nombreux scientifiques remettent en question les protocoles post plantation établis par Miyawaki. Cité par le journal Reporterre, Annabel Porté, chercheuse en écologie forestière à l’Inrae précise que « Miyawaki n’a pas réalisé de vrai suivi ou de démonstration scientifique qui évalue, par exemple, si la biodiversité est effectivement plus riche que dans une forêt classique ». De fait, les promoteurs de cette méthode avancent des performances qui ne sont même pas vérifiées. En 2010, une étude menée par un groupe de chercheurs italiens sur l’efficacité de la méthode de Miyawaki, fait état de 61 à 84 % de mortalité des arbres 12 ans après la plantation. Rapportée au projet de Saint-Denis-sur-Sarthon, cette perte se traduit par la disparition de 27 000 et 37 000 jeunes plants, soit une perte sèche de 219 000 à 302 000 € ! La compensation écologique est-elle efficace au regard de ce gâchis ? Pas sûr.
Outre ces aspects, les chercheurs mettent également en avant que les premiers essais de la méthode, effectués dans des contextes climatiques équatoriaux (chauds et humides) favorisant une pousse rapide des arbres, ce qui n’est pas le cas sous les climats tempérés et méditerranéens, soumis à des sècheresses à répétitions, augmentant le stress hydrique. Les promoteurs peuvent se présenter comme pionniers en la matière, ils n'ont pour l'heure aucun recul pour valider ce qu'ils avancent. Les forestiers avec qui j’ai eu l’occasion de discuter du projet s’interrogent eux aussi : « 45 000, cela paraît excessif, on peut faire une belle plantation avec beaucoup moins et surtout à moindre coût ».
L'un des problèmes majeurs que soulève cet engouement citoyen et politique pour la méthode Miyawaki, c'est de croire que seuls les arbres sont en capacité de capter le carbone. Dans l'inconscient collectif la forêt apparaît comme l'écosystème le plus à même de réguler les gaz à effets de serre. La solution semble ainsi évidente : il faut planter des arbres. Pourtant, d’après Mariane Rubio (2009) en forêt, « le stock de carbone est contenu à 70% dans le sol, et à 30% dans la biomasse ». Autrement dit, le sol, encore plus que les arbres, constitue un véritable puits de carbone. Il en est de même pour les prairies et les friches qui jouent un rôle insoupçonné dans la régulation des émissions de Co². Ainsi, moins ces parcelles changent d'affectation, plus leur rôle écosystémique est important.
Par ailleurs, planter des arbres, et surtout planter autant d'arbres dans un même endroit pose un certain nombre de questions. Car comme tout être vivant, les arbres ont des besoins et notamment en eau. À titre d'exemple, un chêne adulte de 20 ans consomme jusqu'à 150 litres d'eau par jour et le hêtre jusqu'à 500 litres. La nappe phréatique affleurante comme la rivière du Sarthon mitoyenne, arriveront-elles à alimenter 45 000 arbres supplémentaires ? Rien n'est moins sûr. À tel point que la mairie s'est engagée à arroser les plants sur les deux premières années.
L'autre question qui se pose, c'est la transformation d'une prairie (milieu ouvert) à un écosystème forestier (milieu fermé). Or, la prairie, même s'il s'agit d'une terre à vocation agricole, se trouve être un écosystème à part entière, avec sa faune et sa flore. La fermeture du milieu par l'implantation massive d'espèces ligneuses, va nécessairement entraîner une évolution des populations végétales et animales propres à la parcelle. Là où le bât blesse, c'est que cette parcelle est classée Natura 2000 directive habitats. En d’autres termes, la parcelle a été sélectionnée car présentant un intérêt communautaire pour le maintien du patrimoine naturel qu'elle abrite.
Lors de notre visite du 13/06/21, nous avons d'ailleurs pu observer trois espèces classées sur la liste rouge de Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) : Andrena pottentillae, Andrena curvungula et Chelostoma rapunculi. Ces trois espèces d'hyménoptères sont d'ailleurs inféodées aux milieux ouverts que sont les prairies. De fait, le projet de plantation entre en contradiction avec la directive Européenne venue classer la parcelle pour son intérêt écosystémique. L'implantation d'une zone boisée va nécessairement réduire l'habitat de ces trois discrets pollinisateurs.
Sans doute que ce projet de plantation aurait eu plus de sens si l’on avait interrogé le passé de la commune et observé les cadastres anciens. Où trouvait-on de la forêt sur la commune il y a 50 ou 100 ans ? Replanter une forêt sur une ancienne parcelle défrichée aurait donné un poids considérable au projet, alliant restauration des écosystèmes disparus et des paysages passés. Or il y a 70 ans, la parcelle était occupée par un verger. Pourquoi alors ne pas replanter pommiers et poiriers là où on en voyait encore dans les années 50 sur la commune ? Pourquoi ne pas plutôt privilégier la restauration des haies (si essentielles du point de vue écologique) dont plusieurs centaines de kilomètres ont disparu sur la commune depuis la période du remembrement, voire même très récemment comme on a pu le lire dans la presse, en 2018 ou en 2020.
Quid des essences choisies pour la plantation ? Trees Everywhere se veut rassurant sur ce point : « une trentaine d’espèces locales seront implantées à Saint-Denis » peut-on lire dans Ouest-France. Or, une trentaine d’essences, cela paraît beaucoup pour un technicien avec qui j’ai discuté du projet et qui intervient sur les exploitations agricoles du territoire pour replanter des haies : « déjà une quinzaine semble raisonnable ». C'est d'autant plus vrai lorsque l'on prend en compte les essences locales impactées par le réchauffement climatique comme le sont le hêtre et le chêne pédonculé. Bref, d’après tous les professionnels du secteurs avec qui j’ai pu m’entretenir à ce sujet, la municipalité se « plante », d’autant que l’entreprise en charge du projet, Trees Everywhere semble plus compétente en communication qu'elle ne l'est en génie écologique.
Il suffit d'observer l’organigramme de Trees Everywhere, pour mieux comprendre les enjeux qui se cachent derrière un tel projet et pourquoi de nombreuses entreprises se lancent dans la plantation d’arbres auprès des collectivités locales. On y trouve des business developpers, des consultants en stratégie développement, tous pratiquement passés par une école de communication, une business school, HEC ou Polytechnique. On est bien loin des professionnels de la forêt.
Aucun écologue, forestier ou botaniste n’apparaît dans l’équipe mais bien des professionnels de la communication et du secteur bancaire. Les enjeux financiers semblent d'ailleurs être l’arbre qui cache la forêt Miyawaki. Une opération marketing comme celle de Saint-Denis-sur-Sarthon coûte 360 000 €. À Mulhouse, où 24 000 arbres vont être plantés par Trees Everywhere, l’investissement s’élève à 200 000 euros. D’après le JDD, l’un des co-dirigeant de Trees Everywhdre, Olivier de Montety est d’abord passé par « Boursorama et Compte Nickel » avant de cofonder l’entreprise. On est loin d'AgroParisTech ou de l'école Nationale des Eaux & Forêts de Nancy. Avouons que pour une entreprise qui intervient dans le secteur écologique, forestier et paysager, ce n’est pas très sérieux.
Toujours dans le même article, on lit que l'objectif de l'entreprise est de dégager « 20 à 40 millions d'euros d'ici à cinq ans ». On y voit plus clair. Interrogée par l’Orne hebdo sur des aspects plus techniques, Sophie Grenier, co-dirigeante de Trees Everywhere souhaite « obtenir une forêt étagée » à Saint-Denis. Or, n’importe quel forestier sait qu’une plantation artificielle d’une même classe d’âge ne donne jamais de sous étagement. C’est d’ailleurs l’une des critiques qui revient souvent à propos des forêts Miyawaki depuis sa présentation en Europe notamment au colloque de l'UNESCO « Recréer la Nature » en 1994 à Paris. Les banquiers font à l'évidence de piètres forestiers.
À observer des structures publiques et privées débourser plusieurs milliers d’euros dans des projets tels que celui de Saint-Denis-sur-Sarthon, il n’est alors pas étonnant que de voir fleurir des entreprises cherchant à investir dans le champ de la compensation carbone par la plantation d’arbres.
Ces constatations sont lassantes, dans la mesure où des programmes d’accompagnements techniques et financiers existent sur le territoire, avec un véritable souci environnemental et paysager comme peut le faire le Parc-Naturel-Régional Normandie-Maine (dont fait partie la commune de St-Denis), ou le département de l’Orne. En comparaison avec ce que proposent ces maisons locales, le projet de Trees Everywhere est peu convaincant. À l'origine, la méthode Miyawaki répond à un besoin de restauration écologique et est par conséquent, destinée à investir des terrains en mauvais états comme des friches industrielles. Pourquoi donc investir une prairie en bonne santé et dont l'intérêt écologique a donné lieu à un classement Natura 2000 ?
Reste que pour le moment, le projet de Saint-Denis doit encore être validé (ou non) par les services de l’Etat. Depuis le 1er Janvier 2017, tout premier boisement d'une superficie de plus de 0,5 ha doit faire l'objet d'une demande préalable d'examen. Etant donné qu'une telle plantation peut impacter l'habitat de nombreux insectes, à moins de changer de parcelle, pas sûr que celle-ci ne voit le jour. Affaire à suivre.
Nicolas Blanchard
© Nicolas Blanchard
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CHRISTIE BAHOUGNE (vendredi, 01 décembre 2023 15:12)
Bonjour,
Cet article est vraiment intéressant et étayé.
Qu'en est-il aujourd'hui de ce projet?
J'aurais aimé partager l'article mais je n'ai pas trouvé comment faire.
Je l'ai cherché sur votre "facebook" mais je ne l'ai pas trouvé.
En revanche j'ai pu découvrir vos belles photos.
Cordialement.
cbahougne@gmail.com
MP LECERF (lundi, 03 janvier 2022 14:52)
Bonjour Monsieur,
Merci pour ce travail qui est + professionnel que ma réaction épidermique de sylvicultrice lambda lorsque j'ai lu l'article de Ouest France sur une plantation de 0.5 ha près du Mémorial de Caen en décembre. Tout cet argent pourrait être plus judicieusement dépensé. Peut être qu'à force de réagir notre point de vue sera entendu par toutes ces communes qui croient bien faire. Je reste à votre disposition pour vous transmettre les trois articles sur cette affaire dans le Calvados.
Cordialement
Marie Paule Lecerf
Martine Bance (lundi, 14 juin 2021 13:09)
Merci pour cet article si bien documenté. Je n'avais aucune idée du bizness qui pouvait se cacher derrière toutes ses mesures dites " écologiques" ... Bon à savoir juste avant les élections régionales.